Se chercher une job (Part II)

teaching_demoFait que environ une semaine plus tard, l’école BRS m’a contacté pour un Teaching Demo. En gros : une classe d’essai dont nous, futurs profs, connaissons plus ou moins les paramètres. Pratique courante ici, et ça a vaguement à voir avec la tradition romaine où on pitchait des gens dans une arènes pour voir comment ils se débrouillaient.

Avec Kruu Teresa, on avait convenu au téléphone d’un 30 minutes de demo. Dans la classe de Teacher Jorge. Avec comme thème “Daily Life”. Kruu Teresa tenait mordicus à ce que je monte une présentation powerpoint, malgré mes hésitations. J’avais la vague impression que ce serait useless mais je ne voulais pas me montrer récalcitrante.

Fait que…. J’ai passé 3 heures à chercher des images online et à essayer d’imaginer le degré de compréhension de ces enfants face aux activités routinières exprimées en langue anglaise. Est-ce qu’ils savent lire l’heure? Est-ce qu’ils savent les moments de la journée? Est-ce qu’il savent à quelle heure on soupe? J’ai monté une première présentation qui finalement parlait plus de l’heure qu’autre chose. Me suis dit que c’était pas vraiment “Daily Life”. En ai monté une autre et, quand j’ai été satisfaite du contenu un bon 45 minutes plus tard, je l’ai sauvé en plusieurs exemplaires ; un pdf, un pps, un pptx, que j’ai mis sur ma clef USB, que je me suis envoyé par courriel et que j’ai gardé sur mon ordi.

Le lendemain, j’ai amené ma clef USB et mon ordi avec moi. Parce qu’on sait jamais. Je suis arrivée 15 minutes à l’avance cette fois. J’ai croisé Kruu Teresa dans le stationnement, qui m’a dit d’aller l’attendre à son bureau. J’y suis allée, deux profs Philippines corrigeaint des devoirs. L’une d’entre elle m’a adressé la parole dans un anglais impeccable: “so you work here?” Je lui ai expliqué que non, que j’étais juste en teaching demo aujourd’hui, que j’avais de l’expérience en teaching et un bac en com.. Elle m’a expliqué le plus humblement du monde comment elle avait enseigné aux ados aux Philippines pendant 6 ans avant d’arriver ici l’an dernier. Comment c’était dur avec la discipline parfois quand on n’avait pas de Teaching Assistant (“but don’t worry, the ESP classes have always a Teaching Assistant”).
En l’écoutant, je me suis rappellé l’histoire du “white teachers and better students in ESP classes” tout en me disant que c’est con en criss ce truc de couleur de peau pour déterminer si t’es qualifié ou pas. Je me suis penchée vers elle, en me cachant derrière une pile de devoirs à corriger et en murmurant presque: “I am not very used to, hum… sort people like that…” Elle a souri, je crois qu’elle comprenait ce que je voulais dire mais que je n’osais  pas vraiment dire : “it’s ok, it is like that here”, qu’elle a ajouté. Puis, elle m’a lancé un regard moqueur en faisant des thumbs up.
-Suba-suba
-Hum… What is it?
-It means “you can do it” in Thai
-Oh ok…
-Also…they love singing songs here. Like… “If You’re Happy And You Know It” or “The Banana Song”…
-Oh… Good to know… Thank you.
J’avais entendu dire que les gens des Philippines avaient un grand coeur, ben là j’en ai eu un bel exemple. Kruu Teresa est venue me chercher pour aller dans la classe de Teacher Jorge.

Il y avait déjà là des madames et des monsieurs habillés propres, que je savais importants mais que je savais pas c’était qui, assis un peu partout dans le fond de la classe. Teacher Jorge avait l’air nerveux pour moi. J’ai sorti ma clef USB. Il m’a accompagnée près de l’ordi puis m’a lancé discrètement: “So you know as much as I do how computers work…” J’ai pris mon air de fille qui connaît ça – oh que oui môssieur! – et j’ai sorti ma clef USB en me demandant ce qu’il voulait dire par là. J’ai compris de suite.
Une première fenêtre popup est apparue. En Thai. J’ai pris une chance et j’ai cliqué sur le bouton de gauche, pour la faire disparaître. Ensuite, j’ai cliqué sur le logo de l’affaire qui avait l’air d’avoir le moins de place dessus pour mettre des affaires. C’était ma clef USB. j’ai ouvert le fichier “BRS Shcool”. J’ai sorti mes trois versions de powerpoint, les ai mises sur le desktop. J’ai essayé d’en ouvrir une, qui ne marchait pas. Puis une autre, qui ne marchait pas plus. Tout l’espoir du monde résidait maintenant dans un fichier PDF, que j’ai ouvert rapidement. La première diapo s’est affichée après qu’une autre fenêtre popup en Thai soit apparue, et que j’aie pesé cette fois sur le bouton de droite, qui avait le plus l’air de vouloir dire “nevermind open my file anyways”.

Le titre de ma présentation est apparu à l’écran: “What do you do on weekdays”. Soulagement. Les étudiants ont lu à haute voix, sans que je ne demande quoi que ce soit. J’ai voulu passer à la première image, puis… plus rien.
Le document entier était vide. Les étudiants se sont mis à chuchoter entre eux. Je sentais du fond de la classe le regard des monsieurs et des madames habillés propre. J’ai cliqué à deux trois places pour essayer d’ouvrir mes fichiers à nouveau, tout en gagnant quelques secondes et en essayant de maîtriser un vague début de panique.

Un micro était là, à ma disposition, pratique courante ici sans doute pour avoir le dessus sur des élèves un peu trop “vocaux” par moments. J’ai pris le micro et mon courage à deux mains, me suis retournée vers la classe en répétant casually : “So… what do you do on weekdays…Hum… That is a very good question…”
Je me suis retournée vers l’ordinateur, pour gagner encore du temps et ouvrir quelques images (que j’avais pris soin de sauvegarder séparément de ma présentation powerpoint – oh merci Sainte-Anxiété qui me fait tout double-checker !) Au même moment, et sans doute pour dissiper une genre de tension qui commençait à monter, les étudiants ont répété en choeur, sous l’effet d’une commande chuchotée en Thai par la Teaching Assistant: “good afternoon teacher!”
Une demi-seconde pour chercher la première image, me relever la tête et leur répondre.
Un petit bonhomme qui se réveille avec au dessus, “MORNING” écrit en grosses lettres rouges, est apparu à l’écran.

Je me suis précipitée debout, le micro à la main. J’ai casually annoncé mon nom, puis leur ai demandé le leur, un par un, en me promenant comme une standup comic sous le spotlight du projecteur affichant le desktop de Windows, version Thai, sur le tableau derrière moi.
Après, j’y suis allée au feeling. Un peu de “répétez après-moi”, un peu de “on va essayer de jouer à un jeu mais c’est pas clair parce que je décide les règles au moment même où je vous parle”, et un peu – beaucoup – de la “Banana Song” pour meubler le temps et empêcher les élèves de dormir sur leur bureau. Les monsieurs et les madames habillés propre ont écouté pendant un bout, puis certains sont partis. Teacher Jorge s’est assis dans le fond et a commencé à faire des corrections. Le temps s’est arrêté et on aurait dit que plus personne ne m’écoutait sauf les enfants (enfin… quelques uns ne m’écoutaient pas vraiment). 1h15 plus tard, une fillette, et puis une autre se sont exclamées : “milk time!”.
J’ai regardé Teacher Jorge, absorbé dans ses corrections : – Hum… Milk time? Teacher Jorge, what do we do when it’s milk time?
Il a relevé la tête lentement.
– Oh… I am surprised they remembered. It is milk time…It means its… the break.
– Oh ok. Milk time everyone then !

Je suis sortie de la classe avec les élèves, après que les monsieurs et madames habillés propre qui restaient aient quitté la classe. Teacher Jorge s’est approché de moi.
-I was happy it wasn’t me! A bunch of important people like that… So stressful.
-Yes, well… I don’t know if I did well or not, things didn’t exactly went as planned…
-I don’t think you have to worry, you did great!
Je lui ai lancé un regard pseudo-convaincu, teinté d’un gros doute.
Il s’est approché un peu plus et a dit tout bas :
– I saw what they wrote down when they were watching you, it was pretty good. So… play hard to get now.
-Oh…
Stupeur et soulagement.
– But don’t tell them I told you…
Je l’ai remercié discrètement puis je me suis éloignée pour aller saluer Kruu Teresa. Encore une fois, elle m’a dit qu’on allait rester en contact. En tout cas… J’aurai fait mon gros best.

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